Arbres et philosophie

« Hêtre, chêne, tilleul, cèdre ou châtaigner… accomplissent, ici, trois fois plus d’exploit que l’on ne verra, oui, qu’au paradis, ou que l’on n’a jamais vu qu’au jardin d’Eden : l’extase de leur idées, l’éclatement débordant de leur force vitale, dans le tourbillon du houppier ; la perception concrète, ici et maintenant, de la chose du monde, exposée en sa Beauté.[1] » ; tels sont les termes utilisés par M. Serres pour décrire la Creuse ; termes que je reprends à mon compte pour décrire le parc du Lycée, lieu idyllique non seulement pour enseigner la philosophie, mais aussi faire pousser des citoyens responsables et éveillés à protéger la nature, voire à trouver d’autres alternatives à notre consommation et à notre plaisir pour l’avenir.

Être entouré d’arbres c’est donner à voir et à penser le monde dans sa complétude. Le parc du lycée composé de 609 arbres est l’environnement idéal pour faire entrer les élèves en philosophie, et cela dès le début de l’année en répondant à leur question première « qu’est-ce que la philosophie ? » Comment ne pas rapprocher la réponse de Descartes de l’arbre comme symbole de la vie en perpétuelle évolution. Se souvenant que « Toute la philosophie, est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences.[2]» M. Authier dans Les arbres de la connaissance[3] vise aussi à nous montrer dans quelle mesure les savoirs s'imbriquent les uns les autres. Si la philosophie qui englobe l’ensemble des savoirs est comme un arbre, c’est bien que l’arbre est à la fois porteur d’espoir, et l’un des éléments essentiel de la biosphère, voire l’élément essentiel si l’on prend en compte les émissions carbone. Occasion rêvée là encore pour expliquer aux élèves dans quelle mesure concernant le réchauffement climatique il faut faire le lien entre toutes nos activités. Comme le fait très justement remarquer J. Jouzel dans Climat : Parlons vrai, chaque individu doit savoir que certaines de ses activités émettent du CO2, que d'autres émettent du méthane, et que cela contribue à la modification de la composition de l’atmosphère qui elle-même contribue à l'augmentation de l'effet de serre et de la température.

Et une pérégrination philosophique dans le parc ne cesse de nous le rappeler. Découvrir au détour d’une allée un arbre malade, ou mort, est l’occasion de réfléchir d’une part aux causes de cette fin tragique, et d’autre part aux conséquences de cette disparation. Comment le remplacer et par quoi sans modifier tout l’écosystème dans lequel il est enraciné ? Comment ne pas perturber la flore dont la faune habituée des lieux a tant besoin ? Une faune diversifiée (hérons, perruches, renards, écureuils, etc.) est présente et se reproduit sur cet espace naturel de grande dimension ; aussi déraciner une espèce d’arbre en voie d’extinction, car incapable de s’adapter aussi rapidement au changement climatique est une chose, mais en enraciner une autre espèce relève du vrai défi. Défi dont les élèves peuvent comprendre toute la mesure en relisant aussi bien la Nausée de J.-P. Sartre que Les Déracinés de M. Barrès. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard non plus si pour nos deux auteurs l’arbre  - le marronnier de Sartre et le platane de Barrès -, est rattaché à la question de l’existence. Réfléchir avec les élèves à la question de l’existentialisme en traversant l’allée centrale composée d’un double alignement de marronniers réparti en arc de cercle, situé de part et d’autre de la perspective principale, partant en direction de la forêt de Sénart est l’occasion idéale pour mettre au jour l’absolue contingence du monde en même temps que l’absolue liberté et responsabilité de l’homme envers lui-même.


Pourquoi pas d’ailleurs à l’ombre du seul l’if de grande dimension du parc ou de quelques peupliers réfléchir aussi au-delà de l’enracinement et en-deçà du déracinement à la question de la transplantation, avec toute la difficulté qu’elle pose dans la Querelle du Peuplier de Gide. Comment un peuplier peut-il s’élever s’il n’est pas d’abord enraciné ? Référence au problème de l’éducation posé dès le début de l’année en cours de HLP. Aujourd’hui plus qu’hier encore notre vocation première consiste à sensibiliser les citoyens de demain au danger écologique qui nous menace tous, à faire éclore en chacun de nos élèves le sentiment d’appartenir à la nature. Faire cours de philosophie à l’ombre des arbres éveille les cinq sens, lesquels irradient tout le corps de telle sorte que c’est tout l’être qui en est imprégné. C’est de cette expérience dont les élèves se souviennent en redemandant à avoir cours « dehors », et c’est elle aussi qui continuera de couler en eux comme la sève coule dans les arbres pour en faire les futurs protecteurs de la terre.

Traverser le parc du lycée c’est aussi découvrir avec stupéfaction qu’un arbre a été foudroyé. Là encore c’est l’occasion de rappeler que si un arbre peut prendre feu, que si la maison brûle[4], il faut rester optimiste quant au devenir de l’humanité. C’est évidemment l’occasion de relire avec nos élèves L’homme qui plantait des arbres de Giono dont la conclusion optimisme ne doit cesser d’éclairer notre chemin au quotidien, car planter un arbre est « un fameux moyen d’être heureux[5] » et de rendre les autres heureux. Telle est la signification du 4ème One Planet Summit organisé sous l’égide de la France. Sommet qui a eu pour objectif selon les mots du Président de la République, E. Macron, de « consacrer les liens entre notre humanité avec la nature et l’environnement que nous habitons. » L’Etat s’est engagé à replanter 7000 kilomètres de haies sur 2 ans ; en même temps que le Projet de la Grande Muraille Verte se voit accéléré. Il s’agit là de soutenir un mouvement mondial avec la vision de conserver restaurer et faire pousser 1000 milliards d'arbres d'ici 2030. Cette initiative africaine portée par les africains doit permettre de valoriser les nombreuses opportunités qui se présentent aussi bien dans le domaine de la transformation économique qu’écologique du Sahel en fournissant des emplois et des opportunités à des millions de personnes. Cette initiative se révèle être aussi un support précieux pour le cours de philosophie sur la notion de Nature.


A noter que cette initiative de la Grande Muraille Verte n'a pas pour vocation unique de planter des arbres, ni seulement de renouer avec les trois grands services que nous rend la forêt depuis toujours : la production du bois, la protection de la biodiversité et l’accueil des promeneur, ni même uniquement de restaurer les terres dégradées ; elle a pour vocation d'écrire le scénario d'un nouvel avenir commun, de donner un visage humain au développement et de faire la paix avec la nature. Après s’être rendu « comme maître et possesseur de la nature » durant des siècles avec la science galiléo-cartésienne, le changement de paradigme a sonné. A défaut de faire de la nature du sujet de droit, il est urgent de travailler, avec nos élèves, à sa restauration et préservation car si l’arbre ne pense pas le sens de son existence, il n’en est pas moins ce - sujet et objet d’étude - à partir de quoi toute notre existence doit être pensée.



[1] P. Serres, Biogée, Le pommier, p. 106

[2] R. Descartes, la lettre-préface de l'édition française des Principes de la philosophie

[3] M. Authier et P. Lévy, Les arbres de la connaissance, La découverte, P. 44

[4] M. Authier et P. Lévy, Les arbres de la connaissance, La découverte, p. 44 et documentaire de  Albert Knechtel en 2019

[5] J. Giono, L’homme qui plantait des arbres

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