Le déficit d’attention : un trouble réversible

 


« Il suffit de regarder une chose avec attention pour qu’elle devienne intéressante.[1] » Regarder sans voir, écouter sans entendre ni réellement comprendre, croire savoir, ou encore avoir en mémoire et s’apercevoir que tout cela n’est qu’illusoire nous ramène à chaque fois à la même capacité humaine, parfois et souvent même défaillante, à savoir l’attention.

Un défaut d’attention, involontaire, n’est pas le « privilège des étourdis », mais peux tous nous affecter à un moment ou un autre de notre existence, voire de notre quotidien. Même les plus aguerris à la cette faculté de concentration peuvent se laisser distraire, voire ne pas voir ce qu’ils sont venus chercher, ce qu’ils ont scruté patiemment durant de longues heures. En disant  cela je pense à Vincent Munier partit dans le Tibet photographier la panthère des neiges, dont les apparitions sont rarissimes et qui bien qu’aguerrit aux techniques d’observation, patient, concentré et attentif, prendra un cliché sans voir la panthère tant recherchée. Il ne la découvrira qu'à son retour chez lui, deux mois après, en regardant à nouveau le cliché. La panthère se trouve à l'arrière plan, sa tête émerge d'un rocher. On voit ses yeux, son front crénelé, une oreille et demie...[2] Preuve que même avec beaucoup d’attention, ce que l’on regarde peut ne pas se révéler aussi aisément que nous pourrions le penser. Une belle occasion si tant est qu’il en était besoin de rappeler qu’un défaut d’attention n’est pas irréversible, car nos neurones sont flexibles ; ils apprennent tels des muscles que l’on fortifie en faisant du sport.

Pour s’en convaincre, il suffit de se livrer à ce petit exercice qui consiste à dire le plus vite rapidement possible dans quelle couleur les mots sont écrites, et ce, ligne par line, de la gauche vers la droite. Vous constaterez à quel point il est difficile parfois de ne pas lire le mot écrit. Mais en réitérant l'expérience, en pratiquant l’inhibition cognitive qui permet de bloquer temporairement des stratégies sur-apprises ou automatisées (heuristiques) se révélant  inefficaces dans certaines situations, nous gagnons en aisance pour réaliser cet exercice.

Pour être plus attentif, des moyens, des méthodes, des astuces existent, qu’il suffit de mettre patiemment en place au moyen d’exercices réitérés. L’attention n’est pas un « donné », mais un « acquis ». Si l’on parle de plasticité du cerveau, c’est parce que l’on sait maintenant que le cerveau est plastique de telle sorte que le fait d’apprendre modifie sa structure. Il est d’ailleurs possible d’apprendre à être plus attentif[3]. L’attention est une fonction de contrôle cognitif ; elle permet la concentration. Evidemment, un apprentissage réussi ne se fait pas sous les seules conditions des processus cognitifs que nous venons de décrire. D’autres éléments tirés du contexte ou émanant du sujet lui-même peuvent permettre de faciliter le processus d’apprentissage. Dans ce registre, nous aurons sans doute beaucoup à apprendre de la sagesse tibétaine… Comme le fait très bien remarquer Sylvain Tesson dans La panthère des neiges[4] « L’insoupçonnable était devenu l’évident. Cette photo recelait ses enseignements. Dans la nature, nous sommes regardés. D’autre part, nos yeux vont toujours vers le plus simple, confirment ce que nous savons déjà. L’enfant, moins conditionné que l’adulte, saisit les mystères des arrière-plans et des présences repliées. Nos petits amis tibétains ne se firent pas abuser. Leurs doigts se pointèrent immédiatement sur elle. « Saâ ! » hurlaient-ils. Non que leur vie montagnarde leur eût affûté le regard mais leur œil d’enfant ne se laissait pas conduire vers la certitude du donné. Ils exploraient les périphéries du réel. » De quoi nous faire réfléchir sur le contexte.

En effet, des chercheurs ayant examiné l’impact de la décoration de la classe sur l’apprentissage de jeunes enfants de la maternelle en sont arrivés à la conclusion que  « lorsqu’une classe est décorée de plusieurs affiches, comparativement à une classe sans décoration, cela peut nuire aux apprentissages, car les élèves de la classe décorée passent plus de temps à faire autre chose que la tâche demandée (39 % vs 28 %) et ils réussissent significativement moins bien (42 % vs 55 %) »[5]. En milieu ouvert, les sources de « distractions », au sens noble du terme, sont nombreuses, et ce n’est pas Vincent Munier qui nous contredira, lui qui a réglé sa focale sur l’aigle sans voir la panthère, objet de toute sa convoitise photographique... Aussi, si les enfants du Tibet font preuve d’autant de perspicacité, en plus d’être concentrés sur une seule tâche à la fois ; car il est prouvé maintenant  savons que « dès que l’on fait plus d’une chose en même temps, les performances diminuent »[6] ; c’est sans doute parce qu’ils savent activer les neurones nécessaires à la réalisation du but qu’ils se sont fixés. Habitués à l’affût, leur attention soutenue leur permet de rester concentré sur une seule source d’information pendant une longue période de temps ; leur attention sélective leur permettant ainsi de sélectionner l’information.

 

Si les écrits philosophiques de Descartes s’intéressaient parfois au concept d’attention sans parvenir à en fournir un traitement systématique, nous savons aujourd’hui , à la lumière des neurosciences qui n’ont pas encore livrées tous les secrets du fonctionnement oh combien complexe de notre cerveau, quel chemin nous devons emprunter pour voir l’invisible, entendre l’inaudible, percevoir l’imperceptible…Et pourquoi pas in fine faire de l’affût notre style de vie…

 

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